lundi 10 novembre 2008

Nous naissons tous différents

Le très ancien débat à propos de l'inné et de l'acquis a connu un nouvel épisode voici plusieurs mois lors du dialogue entre Nicolas Sarkozy et Michel Onfray. Michel Onfray pense que nos choix, la liberté de chacun, n'ont pas une importance excessive dans la vie. Le premier exemple qu’il cite à l'appui de cette assertion est le fait que nous ne choisissons pas notre sexualité. Onfray insiste sur le fait qu'il s'agit d'un élément parmi "beaucoup de choses que nous ne choisissons pas ". Il tente d’étayer sa thèse en affirmant que le pédophile ne choisit pas sa sexualité. "Il n'a pas décidé un beau matin, parmi toutes les orientations sexuelles possibles, d'être attiré par les enfants." Mais aussitôt, comme s'il s'était aperçu que cette affirmation teintée d'un bon sens commun pouvait donner lieu à une interprétation déterministe en faveur de facteurs innés, il ajoute "pour autant, on ne naît pas homosexuel ni hétérosexuels, ni pédophiles." Néanmoins, Michel Onfray est déterministe, farouchement déterministe, puisqu'il ajoute "je pense que nous sommes façonnés, non pas par nos gènes mais par notre environnement, par les conditions familiales et socio-historiques dans lesquelles nous évoluons". Ce déterminisme environnemental au sens large laisse très peu de place au libre arbitre, au libre choix, et sous-entend que l'individu ne peut se changer qu'en transformant son environnement, ses conditions familiales et socio-historiques. On connaît la suite : il faut abolir les différences, les classes sociales, et tout ira mieux... L'expérience politique et historique a depuis longtemps prouvé l'erreur et le danger d'une telle « vision ».
Concernant les gènes, il serait tout de même curieux que nous soyons à l'évidence façonné morphologiquement par nos gênes mais que de ces derniers n'aient aucune influence dans la genèse de notre personnalité, de notre sexualité, de notre affectivité, de nos émotions. Il y aurait, dit-on, deux individus en nous-mêmes, un individu génétiquement déterminé qui serait l'enveloppe physique (morphologie du visage, couleur des cheveux et des yeux, forme des pieds, des mains ... ) et un individu totalement dépendant du milieu qui serait l'individu agissant, pensant, éprouvant des sentiments. Cette dualité, manifestement artificielle, n'est soutenable ni sur le plan philosophique ni sur le plan scientifique.
Plusieurs travaux ont démontré le caractère inné voire héréditaire de certains traits de personnalité comme l'anxiété, le niveau de quotient intellectuel, l'aptitude à certaines formes d'expression en particulier artistique ; enfin, sans que cette liste soit limitative, plusieurs linguistes considèrent les modules du langage comme génétiquement déterminés. Nous verrons un peu plus loin comment la neurobiologie permet aujourd'hui d'apporter un jour nouveau sur ces questions.


En réponse à Michel Onfray, Nicolas Sarkozy marque sa différence en affirmant prudemment "j'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie." Il poursuit en citant un autre exemple de déterminisme comportemental où les facteurs innés jouent selon lui un rôle, celui du suicide des jeunes qui concerne, en France chaque année, entre 1200 et 1300 individus. En fait le propos de Nicolas Sarkozy est entre autres de remettre en cause la mise en responsabilité des parents dans la genèse de la personnalité du pédophile ou dans le suicide des jeunes. Chacun sait que les adeptes du Freudisme, surtout en France, ont imposé une conception du fonctionnement psychique et de la sexualité où, dès qu'un problème survient, le père et la mère sont accusés de jouer un rôle le plus souvent délétère. C'est d'ailleurs ce qu'illustre le premier cadeau de Michel Onfray à Nicolas Sarkozy : Totem et Tabou de Freud met en exergue le meurtre du père. Cette conception caricaturale et archaïque est aujourd'hui dépassée. Il est curieux et inquiétant qu'en France la psychanalyse soit à ce point momifiée et sa parole monopolisée par quelques hiérarques, et que les découvertes de la neurobiologie qui datent de plus de vingt ans ne soient pas prises en compte.

Qu'en est-il du déterminisme génétique dans les exemples choisis par Nicolas Sarkozy ?
Tout d'abord il faut préciser que l'inné et le génome sont loin d'être deux concepts équivalents et ne correspondent pas à des entités biochimiques identiques. Rappelons que, lors de la naissance, l'être humain est très immature. Si son corps va grandir en changeant simplement de proportions, son cerveau va connaître un développement et une organisation qui n'avait été que simplement ébauchée lors de la période foetale. Jusqu'à l'âge de 3 à 5 ans, les cellules cérébrales se multiplient et les réseaux s'organisent dans l'organe qui est sans conteste le plus complexe de tous ceux des êtres vivants existant sur notre planète. Dans l'accomplissement de ce processus qui s'apparente à une deuxième naissance, le rôle de la génétique est important, comme celui de l'épigénétique : mémoire transgénérationnelle parallèle à celle des chromosomes qui peut influencer tout à la fois notre capacité musculaire, mais aussi l'organisation de notre cerveau et l'expression ou la non expression de certains gènes. Ainsi l'inné est tout à la fois le programme génétique, modifié par des influences extra-chromosomiques, et la confrontation des expressions géniques à l'environnement initial du nouveau-né et de l'enfant jusqu'à l'âge de 3 à 5 ans.
De ce point de vue, la position plus équilibrée de Nicolas Sarkozy est certainement proche de la réalité. Il le résume d'ailleurs dans la phrase "les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense."

Il n'est pas inutile de considérer les preuves factuelles du déterminisme inné de la pédophilie. Tout d'abord, il est singulier de se rendre compte que la littérature en matière de pédophilie n'est pas surabondante. Il est permis de se poser la question du désintérêt des scientifiques pour ce sujet qui touche, semble-t-il, chaque année plusieurs dizaines de milliers d'enfants en France. Le fait que les pratiques pédophiles aient concerné tout à la fois des individus ayant un statut social établi comme les prêtres et les enseignants, et des criminels isolés peut expliquer cette situation.
Pour autant des études existent et mettent en évidence des faits troublants. Il a été mis en évidence qu'il y avait plus de pédophiles dans les familles où existaient déjà des cas de pédophilie. D'autres auteurs ont démontré que les pédophiles ne s'attaquaient que rarement à leurs enfants génétiques. Il a été découvert que les pédophiles avaient souvent des antécédents de traumatisme crânien dans l'enfance. Enfin, en 2002, deux auteurs ont mis en évidence qu'une tumeur cérébrale pouvait déclencher un comportement pédophile chez un patient adulte et que l'ablation de la tumeur provoquait la levée des pulsions pédophiles. Grâce à l'imagerie par résonance magnétique, on a pu prouver que l'image érotique de l'adulte est altérée chez le pédophile, et que les circuits de la récompense sont activés à la vue d'images d'enfants. Ces données de même que le caractère itératif, compulsif et irrépressible du comportement pédophile, rapporté par les pédophiles eux-mêmes, conduisent à penser qu'il existe à l'origine de cette pulsion un mécanisme neurobiologique structuré et rigide dont la genèse est assez complexe, mais qui peut expliquer ce "choix de sexualité", et surtout la récidive et l'inefficacité des thérapeutiques actuelles. Quant à la genèse de cette organisation neurobiologique inductrice du comportement pédophile, il est permis de penser qu'à côté de facteurs innés constituant une vulnérabilité (ce que Nicolas Sarkozy appelle une fragilité), la société actuelle qui permet a beaucoup plus d'individus de révéler leur pédophilie a pu faire augmenter cette « pratique sexuelle » criminelle. Pour autant, force est de constater qu'elle reste marginale, confirmant ainsi l'aversion naturelle, et donc innée, de la majorité de la population pour la pédophilie.

S'agissant du suicide avant l'âge adulte ou chez l'adulte jeune, il est aujourd'hui bien établi que des altérations neurobiologiques existent, et que certaines ont un caractère inné. Seul un développement dépassant le cadre de ce texte permettrait d'exposer les travaux récents en cette matière.

Enfin, s'agissant des fumeurs, et d'une manière générale des cancers de cause environnementale, plus personne ne discute l'existence d'une susceptibilité génétique, même si, là aussi, il faut insister sur le caractère polygénique de cette susceptibilité. Ce caractère polygénique est une dimension de complexité qui échappe souvent à ceux à qui a été enseigné le déterminisme génétique monogénique (qui est très réducteur), le processus de la carcinogenèse, ou bien la psychologie. Toutefois la connaissance des facteurs génétiques et épigénétiques impliqués dans la carcinogenèse étant plus imparfaite, il est tout à fait impossible de prédire parmi les fumeurs de tabac qui va faire un cancer du poumon en rapport avec les goudrons issue de la pyrolyse des feuilles.

En terminant sur un éloge de la complexité, les deux protagonistes du dialogue ont implicitement reconnu l'arbitraire des séparations sémantiques en matière d'inné et d' acquis. Si le corps de l'être humain s'est peu modifié depuis le paléolithique, son cerveau a connu et connaît en permanence des adaptations tout à fait considérables qui lui ont permis de modifier totalement l'environnement, de créer des civilisations, des cultures, de permettre à chaque individu de s'exprimer et de créer. Cette plasticité cérébrale est adaptative : il s'agit du résultat d'un processus sélectif qui a commencé chez les primates, et qui connaît son aboutissement actuel chez l'homo sapiens. L'ensemble du matériel génétique est impliqué dans cette adaptativité cérébrale, qui constitue une des formes les plus évoluées de la vie sur terre. En créant un organe complexe capable d'effectuer des choix sélectifs et déterminants pour la survie, qu'il s'agisse de la survie physique au paléolithique, de la survie économique aujourd'hui ou bien tout simplement du choix d'une ou d'un partenaire, l'évolution des espèces vivantes a connu une étape tout à fait nouvelle. Le déterminisme génétique du cerveau est chaque jour un peu plus éclairé par les découvertes des neuro-sciences. Ce qui peut être troublant est que ce déterminisme est à l'origine d'un fonctionnement cérébral tellement adaptatif, tellement réactif, tellement rapide, tellement créateur et inventif, qu'il peut donner lieu de manière tout à fait erronée à une interprétation strictement environnementaliste. Considérer que l'être humain est le simple résultat final des influences environnementales, c'est nier toute la théorie évolutionniste, car sur le court terme, c'est l'individu qui fait des choix, et sur le long terme, c'est la sélection génétique qui organise les orientations.

Qu'il me soit permis pour terminer de louer le débat libre et contradictoire. Plusieurs critiques féroces ont été écrites après les propos tenus par Nicolas Sarkozy, mais, d'une manière générale, peu se sont intéressés au fond des questions posées. En s'abritant derrière des paravents idéologiques éculés, transformés en icônes du penser politiquement correct comme « les Lumières », « la Raison », « l'Humanisme », la plupart ont évité le débat. Ce dernier est pourtant essentiel à la respiration d'une société : non seulement pendant une campagne électorale, mais aussi chaque jour, pour comprendre le sens de nos actes et agir en homme libre. Assurément, un déterminisme existe dans nos comportements, nos actions, et une société ne peut durablement flatter les instincts les plus bas sans conséquence délétère pour tous. L'apologie de la violence et de pratiques sexuelles marginales ou criminelles telle qu'elle apparaît dans les médias n'est pas simplement le reflet passif d'une société qui nie ses valeurs. C'est aussi, parfois, l'acte volontaire de ceux qui ont monopolisé les outils de démultiplication de la création cinématographique ou télévisuelle à des fins destructrices. Parce que le viol, l'inceste, la pédophilie, le crime sont des comportements que le groupe n’a jamais naturellement valorisé, l'opinion de ceux qui les combattent n'est pas seulement conservatrice au sens littéral du terme mais tout simplement mieux adaptée à la survie de l’espèce.
Mieux comprendre l'intimité de l'organisation neurobiologique qui conduit à des comportements déviants criminels, notamment ceux qui sont susceptibles de déboucher sur des crimes itératifs, comme la pédophilie n'a pas pour but de « fliquer » la population, mais plutôt, en premier lieu, de soigner efficacement ceux que la psychothérapie laisse actuellement en déshérence à la sortie de la prison.


Mitchell KJ (2007) The genetics of brain wiring: From molecule to mind. PLoS Biol 5(4): e113. doi:10.1371/journal.pbio.0050113

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